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Linda aime l’art, le chef-d’œuvre de Philippe Bertrand vu par Jean-Marc Thévenet

 

Linda aime l’art est probablement le chef-d’œuvre érotique de Philippe Bertrand. Initialement parue dans le mensuel Pilote, la bande dessinée est en partie rééditée chez La Musardine. Le volume est augmenté d’une postface de Jean-Marc Thévenet, éditeur de Bertrand chez Pilote dans les années 1980. BD-Adultes vous propose de redécouvrir ce texte riche et tendre sur l’un des auteurs phares de l’érotisme chic & vintage, aujourd’hui disparu…

 

Photo Philippe Bertrand_ret Philippe Bertrand Linda aime art

 

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Dessin la vieille femme Philippe Bertrand Linda aime artLinda aime l’art est – presque – une histoire intime. Une histoire de jeunes gens aussi. Assistant de Guy Vidal pour le magazine Pilote depuis 1981, je me vois confier l’étrange mission de recevoir l’équipe de dessinateurs et auteurs de Charlie Mensuel à l’heure du rachat des Éditions du Square par Georges Dargaud. À cette époque, la presse dite spécialisée en bande dessinée vit ses plus belles heures : Pilote, bien sûr, Métal Hurlant, (À Suivre), Vécu, L’Écho des Savanes… À chaque maison d’édition son magazine et, dirais-je, sa tribu… Certes, certains auteurs réussissent l’habile jonction entre deux titres mais dans le cas de Charlie Mensuel et Pilote ce sont deux conceptions, et bien des imaginaires différents, radicaux dans leur approche. Pilote réunit depuis 1959 les plus belles signatures mais, avec le temps, ce titre s’est un peu lissé, embourgeoisé, ses auteurs sont pour la plupart d’entre eux reconnus, presque installés. Pour Charlie Mensuel, la ligne d’horizon n’est pas la même. Propriété des Éditions du Square, et donc de Georges Choron, alias le professeur Choron, Charlie Mensuel appartient à la famille de Charlie Hebdo et Hara-Kiri. Le titre a été dirigé entre 1970 et 1981 par Georges Wolinski, qui déclare : « Charlie, le seul magazine de bande dessinée lu par des gens capables de lire autre chose que des bandes dessinées. » Tiens, le ton est donné. Wolinski se révélera un génial rédacteur en chef durant cette décennie, faisant redécouvrir, ou souvent découvrir, des auteurs américains oubliés et laissant carte blanche à une nouvelle génération de dessinateurs. Il cède sa place quelque temps avant le rachat par Dargaud à Willem, non moins génial, si ce n’est le génie absolu du dessin de presse, le « Dürer du XXe siècle » selon Choron, que l’on connaissait, parfois, excessif… Venu de la presse underground des années 1960, mais surtout œil avisé et précurseur, Willem offre table ouverte à des auteurs magnifiques : Alex Barbier, Gérald Poussin, Charlie Schlingo et tant d’autres… et Philippe Bertrand.

 

Graph scene porno Philippe Bertrand Linda aime artPhilippe publiait À cet instant aux antipodes dans Charlie Mensuel. Mais, ici, je dois avouer que je ne sais ce que je dois retenir de mon premier rendez-vous avec lui ? Lui ou les Antipodes, peut-être les deux ? Voilà déjà quelques semaines que je sélectionne, trie parfois les planches qui me sont proposées pour la future édition du Charlie Mensuel version Dargaud. Willem est un avocat hors du commun, les auteurs passionnants, parfois foutraques, je tente de recoller les morceaux d’histoires à venir, d’autres m’interpellent comme un suppôt du capitalisme, et je dois alimenter Charlie Schlingo qui s’écroule dans mon bureau, n’ayant rien mangé depuis des jours. J’ai oublié de signaler que la rédaction en chef de Charlie Mensuel m’a été promise. J’élabore un premier sommaire où Philippe est présent, lui dont j’ai retenu l’élégance, la douceur mais surtout une détermination dans son travail, une vision de ce qu’il n’oserait pas lui-même appeler son « œuvre ».

 

Image sommaire Philippe Bertrand Linda aime artPar un de ces sursauts de la petite histoire de la bande dessinée dont seul Georges Dargaud avait le secret, il est dit par un directeur éditorial influent de la maison que je suis un pied-tendre face à cette horde (sic) d’auteurs. La rédaction en chef de Charlie Mensuel m’est retirée et confiée, à juste raison, qui sait, à Nikita Mandryka, ex-fondateur de l’Écho des Savanes, et Philippe Mellot. Et me voilà… rédacteur en chef de Pilote. Pas rancunier, bien que… j’ai gardé une liste d’auteurs avec lesquels je veux absolument travaillé. Philippe, bien sûr, fait partie cette dream team que j’imagine dans les futures pages de mon Pilote. Je suis fasciné par son trait, sa minutie, son art du découpage mais il m’apparaît qu’un autre univers, radicalement différent de À cet instant aux antipodes, serait l’idéal.

 

L’idée de Linda aime l’art n’est pas venue, oserais-je écrire, immédiatement. Nous avons beaucoup parlé ensemble de ce qu’était cette décennie naissante des années 1980. D’autant qu’imposer de nouveaux auteurs dans les pages de Pilote ressemblait à une guerre de génération(s), voire de succession. J’avais à mes côtés une « délégation » éditoriale peu encline à la nouveauté. Et puis Philippe a trouvé, seul bien sûr, cette histoire en « circuit fermé » avec une femme, Linda : « qui habite au 25e étage. Elle ne sort jamais. Toute la journée elle regarde son vidéoscope. Linda aime l’art. » Aux premières planches découvertes, peut-être deux ou trois, après bien des découpages, des mises en place, un sommaire idéal de l’histoire, je me suis dit : « bingo » (non, ce devait être une autre expression). Elle ressemblait à Philippe, élégante, délicate et sans ambiguïté dans son propos ! Un régal de jeune rédacteur en chef qui voyait monter en ligne une nouvelle génération d’auteurs.

 

L’histoire, la vie de Linda aime l’art n’appartiennent qu’à Philippe. Je retiens simplement que c’est une bande dessinée, une des rares, qui évoquait, enfin, son époque, l’air du temps, sans opportunisme et avec justesse. La pré-publication dans Pilote fit quelques remous, doux euphémisme, et je reçus même des lettres recommandées de Georges Dargaud qui voyait en moi un « bafoueur » (est-ce correct comme expression…. ???) de la mémoire de René Goscinny, rédacteur en chef mythique de Pilote. Je partis dès l’année 1984, que dis-je, je pris la fuite, vers d’autres cieux éditoriaux, gagnant un ami, Philippe qui devint un auteur reconnu de la maison Dargaud. Mais je garde en moi une douce nostalgie, je dois l’avouer, de ne pas avoir accompagné et gardé près de moi plus longtemps Linda et… Philippe.

 

Jean-Marc Thévenet

 

Ph.B-Automne Philippe Bertrand Linda aime art

 

Linda aime l’art chez BD-Adultes


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