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Erich von Götha : entretiens avec un monument de la BD érotique – Partie 2

À l’occasion de la parution de ses Carnets secrets, redécouvrons ces deux interviews exceptionnelles d’Erich von Götha, parues entre 1996 et 1997…

 

Rares sont les interviews d’Erich von Götha. Ce qui suit est par conséquent fichtrement intéressant puisque vous allez lire, ou relire, deux de ces moments forts. Le premier entretien date de 1996 et a été publié en deux parties dans le magazine Bédé X (numéros 98 et 99 de décembre 1996 et janvier 1997). L’interviewer Bernard Joubert, déjà scénariste de von Götha, interroge ce dernier par fax interposé sur son parcours et sa bibliographie, selon le modèle du livre d’entretiens de François Truffaut avec Alfred Hitchcock. La seconde rencontre a eu lieu quatre ans plus tard, à Paris. Elle a paru dans Bédé adult’ (numéro 230 de mars 2000) et était centrée sur l’actualité du dessinateur, à savoir la sortie du tome 1 de Twenty et des Carnets secrets de Janice. Les deux entretiens se complètent et donnent à comprendre toutes les difficultés de l’auteur d’images pornographiques à la fin du siècle dernier en France et en Europe. Une époque pas si éloignée de nous…

 

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Interview d’Erich von Götha et Bernard Joubert par Christian Marmonnier, 2000.

 

Votre dernière bande dessinée a été publiée en album il y a peu de temps. Elle raconte l’initiation sexuelle d’une jeune fille dont l’âge varie progressivement de 18 à 20 ans. Quelle est l’origine de Twenty ?

 

EvG : L’histoire de Twenty est partie d’une idée d’un scénariste anglais. Au départ, cette histoire se déroulait avec une fille très jeune, une écolière. Quand j’ai commencé à la réaliser, j’ai compris qu’il serait de plus en plus difficile de la faire. Avec les premières pages, j’ai senti que je dessinais quelque chose que je n’aimais pas. Je n’avais pas envie de raconter une bande dessinée avec des mineurs et l’idée de mettre en scène des enfants dans des situations pornographiques ne me motivait pas non plus. En dehors des petites créatures que ma femme a mis au monde, les enfants ne m’intéressent pas. Je n’aime pas l’idée que de jeunes enfants soient molestés par des hommes, ou par des adultes. En outre, mon scénariste m’a écrit qu’il avait quelques problèmes avec la police, j’ai donc décidé qu’il valait mieux arrêter là, que ce n’était pas vraiment une histoire pour moi. Par contre, l’idée générale d’une école de filles m’attirait beaucoup plus…

 

BJ : Et après l’arrêt de ce synopsis, Erich est reparti avec une autre histoire basée sur son propre scénario.

 

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Scène non utilisée pour Twenty 2.

Ce qui peut être surprenant dans ce nouvel univers, c’est qu’il est également beaucoup plus soft que celui de Janice !

 

EvG : Soft, oui ! Soft par rapport aux éléments sado masochistes des bandes de Janice, effectivement. La raison est que je voulais me concentrer sur un autre aspect du sexe, dire qu’il existait la possibilité d’un futur du sexe avec les développements scientifiques. Le problème aujourd’hui est que, n’importe où dans le monde, il est interdit de jouir du sexe. Parce qu’il y a une bonne excuse : le Sida.

 

C’est d’ailleurs une composante scénaristique importante de votre nouvelle série !

 

EvG : Je trouvais intéressant de situer cette histoire dans une ère post-Sida. Le contexte des aventures de Twenty est ce que j’ai appelé une « virogenetic revolution », une révolution viro-génétique. Quelques mois plus tard, le Viagra faisait son apparition et j’ai trouvé amusant de constater qu’entre le Viagra et la révolution viro-génétique de Twenty, il y avait comme une parenté. Je me suis dit que j’avais en quelque sorte lu dans l’avenir.

 

Avez-vous essayé le Viagra ?

 

EvG : Ooh ! J’ai essayé une fois et, au final, j’ai juste beaucoup sué. Par contre, le Viagra a vraiment transformé la vie d’un de mes amis âgé de 62 ans. Son actuelle petite amie de 37 ans pense en effet qu’il est le plus viril de tous les hommes !

 

Revenons à Twenty. Dans cette anticipation, vous prétendez qu’en 2018, on redécouvrira l’amour physique comme on l’avait découvert à une certaine époque, dans les années 1960 !

 

EvG : Oui, c’est comme une seconde révolution sexuelle.

 

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Travail de perspective pour une case de Twenty 3.

Et vous citez souvent Emmanuelle, d’Emmanuelle Arsan !

 

EvG : C’est exact ! Dans l’école de Twenty, il y a deux saints, peut-être même trois : il y a O, Emmanuelle et aussi le divin marquis.

 

Pensez-vous réellement que ce type d’école ou plutôt qu’un enseignement de la sexualité puisse être enseigné en 2020, sous cette forme ?

 

EvG : Oh, absolument !

 

Vous êtes donc une sorte de prophète ?

 

EvG : Je crois surtout que si je devenais un jour très riche, j’effectuerais moi-même ce type d’enseignement ! [rires]

 

Dans Twenty, vous préconisez en quelque sorte l’amour libre. Avez-vous une vie sexuelle active ?

 

EvG : Eh bien, j’ai eu une vie active dans ma jeunesse, dans les sixties et les seventies, et peut-être aussi un peu plus tard. Mais maintenant, je reconnais que les femmes ne me regardent plus comme avant… c’est dommage !

 

Aujourd’hui, avec l’ordinateur, vous utilisez une nouvelle technique graphique. Comment vous êtes-vous débrouillé ?

 

EvG : En premier lieu, j’ai dû apprendre ce qu’il ne fallait pas faire. Mes premières tentatives de dessins étaient très ennuyeuses. J’ai fait dix pages absolument effroyables. C’est d’ailleurs curieux de remarquer qu’en général, dans mes dessins, une proportion d’entre eux est terrible. Ce sont des dessins que je ne peux pas contrôler !

 

Qu’entendez-vous par terribles ?

 

EvG : Terribles… c’est-à-dire horribles. Des dessins que je trouve mauvais, qui sont moches. Bien sûr, je sais qu’il est toujours possible d’améliorer ses dessins. Mais pour les bandes dessinées, le temps compte. Et ce n’est pas facile, spécialement avec l’âge que j’ai.

 

De quelle manière procédez-vous, avec quels logiciels ?

 

EvG : Pour surmonter cela, pour arriver à obtenir de bien meilleurs dessins, j’ai expérimenté le travail sur Macintosh, et surtout le logiciel Photoshop qui est magnifique… Avec cette technique, on peut toujours tout modifier !

 

Cela vous a vraiment apporté un plus ?

 

EvG : Oui, parce que cela ressemble quelquefois à la technique de la peinture. II y a beaucoup de trucs en commun. Qui plus est, j’ai trouvé une méthode que j’aime énormément. Je fais d’abord des dessins de manière traditionnelle. Après, j’utilise le crayon pour améliorer les formes et après encore, je scanne les dessins. La colorisation se pratique ensuite comme dans la peinture à l’huile. Après avoir travaillé sur l’original qui peut être fait en gris et blanc, j’utilise des niveaux transparents de couleurs et puis enfin, du blanc pour améliorer les formes. Le blanc qui est aussi très bon pour dessiner les parties sexuelles en action, particulièrement les liquides d’amour…

 

BJ : Pour qu’il n’y ait aucune confusion, dans le recueil d’illustrations Les Carnets de Janice, tous les dessins sont faits de manière traditionnelle. Rien n’est travaillé sur ordinateur.

 

Alt drgs 2

Encore un passage qui n’a pas servi dans Twenty 2.

Combien de temps avez-vous passé sur cette histoire ?

 

EvG : J’ai commencé en septembre 1997 et j’ai dû la terminer en juin 1999. Après cela, comme je souhaitais que l’album comporte des pages de garde, j’ai choisi une illustration que j’ai améliorée. Et l’éditeur me l’a retournée en demandant d’enlever la bite. On y voyait aussi une femme avec un gros cul. J’ai donc effacé le pénis mais, curieusement, en l’effaçant, j’ai révélé une main mâle au fond du… [rires] C’était très drôle. Je retire le pénis et une main apparaît comme dans un fist-fucking. Finalement, l’éditeur ne m’a pas demandé de modifier le dessin une nouvelle fois.

 

Préparez-vous une deuxième aventure ?

 

EvG : Oui, que je pourrais appeler Fourty… plus sérieusement, dans le deuxième tome, je voudrais révéler que Twenty doit son nom au fait qu’elle est née le dernier jour du siècle.

 

Twenty est pour l’instant un récit au ton assez positif, contrairement au troisième tome de Janice où la mort fauche des personnages importants de la série…

 

EvG [montrant du doigt Bernard Joubert] : Le meurtrier est là !

 

Est-ce une démarche volontaire… j’entends par là : est-ce pour contrebalancer les turpitudes vécues par Janice ?

 

EvG : Oui, peut-être ! Vous savez, je voudrais bien réaliser un dernier tome de Janice, dont Bernard écrirait les dialogues. Je voudrais réaliser une aventure qui s’appellerait Les Bonheurs de Janice. Parce que depuis de nombreuses années, peut-être bien quinze ans, il est vrai qu’elle subit les pires tortures. C’est trop de tourments pour elle : « Poor Janice ! » J’aimerais lui trouver maintenant un avenir différent car il est évident, n’est-ce pas, qu’elle ne peut pas continuer ainsi. Sinon, la route la mènerait elle aussi droit vers la mort. La mort était déjà très proche d’elle dans le volume trois et il est possible que le prochain épisode découvre enfin sa vraie nature.

 

BD_adulte_218

Couverture de Bédé adult’ n° 218 (janvier 1999) qui annonce la naissance de Twenty.

Elle devrait trouver ce bonheur entre la France et l’Italie, entre Paris et Venise…

 

EvG : C’est Bernard qui m’a suggéré le chemin et je le suis !

 

BJ : Il faut préciser qu’à un moment du tome trois, Janice dit qu’elle va quitter l’Angleterre pour se rendre en France puis en Italie. Le tome quatre se déroulera en tout cas en Italie, c’est sûr !

 

Ce voyage correspond-il à une sorte de parcours historique en rapport avec des auteurs, en particulier des écrivains ? Pour quelle raison Janice va-t-elle en Italie ?

 

BJ : Il y a une bonne raison pour laquelle je voulais l’envoyer dans ces deux pays. À la même époque, le marquis de Sade vivait en France et, de l’autre côté des Alpes, il y avait Casanova ainsi que Giorgio Baffo, un poète vénitien. J’avais donc en tête l’idée de les faire se connaître. Je voulais que Janice rencontre tous ces hommes.

 

De grandes rencontres en perspective !?

 

EvG : Absolument ! Et c’est mon rêve que de savoir qui va être le vainqueur. C’est comme un match qui opposerait le marquis de Sade à Janice. Et j’ai idée qu’à la fin, la femme sera encore debout après que tous les vilains, comme le vicomte, se soient évanouis…

 

Parlons maintenant des Carnets secrets de Janice. De quelle manière avez-vous travaillé ensemble pour réaliser cet art-book ?

 

BJ : Il a tout fait seul. Je veux dire que je ne lui ai suggéré aucun dessin, aucune scène dans la réalisation de cet art-book.

 

EvG : Pas mal de ces dessins font revivre la sophistication de Venise et des salons, l’élégance de l’époque, des femmes. Il y a aussi des images de pirates qui kidnappent la pauvre Janice, en l’enfermant dans une cage…

 

BJ : Ce qu’il faut préciser encore, c’est qu’on y trouve des scènes des trois premiers volumes qui sont redessinées ou peintes. Ce ne sont pas des cases agrandies ou des extraits. Von Götha a revisité les trois épisodes en en montrant certains passages. Il a donc aussi exploré un passage du prochain volume (le tome 4) mettant en scène des pirates et Horace, un esclave noir, que l’on avait déjà rencontré dans le premier tome et qui revient ici.

 

Est-ce que vous noircissez beaucoup de pages de carnets de croquis ?

 

EvG : Oui, mais je pense que ces dessins n’intéressent personne sinon moi.

 

Ces dessins ne sont-il que des exercices ?

 

EvG : Non, je m’en sers pour mes histoires. C’est une pratique personnelle. Je le fais seulement pour m’améliorer.

 

Vous accordez peu d’entretiens et vous parlez généralement peu de la bande dessinée érotique. Quel est votre avis sur les grands auteurs internationaux de la bande dessinée et quels sont ceux que vous appréciez le plus ?

 

EvG : Celui que j’apprécie en premier, c’est Giraud ou Moebius, si on peut les séparer. Pour ma part, je crois qu’on peut les dissocier. Après, il y a l’incroyable Manara. Il est parfait, personne ne dessine les femmes comme il les dessine. Et à ce niveau-là, je ne peux pas rivaliser avec lui. Comme je ne peux pas rivaliser avec des photographes érotiques.

 

Pourtant, Manara dessine souvent le même type de femme !

 

EvG : Mais vous pouvez dire cela aussi pour moi ?!…

 

Euh… oui, pour vous aussi, en effet !

 

EvG : C’est vrai. La seule méthode pour vraiment distinguer plusieurs femmes passe par le style des cheveux. Et aussi, par la forme de leur nez.

 

Pour finir, êtes-vous satisfait de votre public français ?

 

EvG : Oui, je suis même étonné. Vous le savez, j’ai commencé en Angleterre, dans les années 1970 en publiant un magazine du nom de Torrid. Il y a quelque temps, un ami a demandé à l’éditeur de ce défunt magazine si les affaires allaient bien. Et il lui a répondu que la période était difficile, mais que s’il produisait encore aujourd’hui Torrid, il pourrait en vendre beaucoup d’exemplaires… Ce qu’il ne sait pas, c’est que j’ai continué. C’est assez amusant !

 

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Essai très poussé pour la planche 14 du tome 2 des Malheurs de Janice.


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