Le Figaro a défrayé la chronique estivale en publiant une série d’entretiens avec Michel Houellebecq. Eh bien chez BD-Adultes, nous avons Giovanna Casotto ! À l’occasion de la parution de Giovannissima 3 chez Dynamite, nous avons souhaité exhumer 3 entretiens de l’artiste, personnage aussi sulfureux que mystérieux. Sa vie, son œuvre, ses premiers émois sexuels, son rapport à l’érotisme et à la pornographie : à travers ces trois interviews que nous publions sur deux semaines, vous en apprendrez davantage sur la reine des pin-ups italiennes !
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Qui est Giovanna Casotto ? Quelle est son histoire ?
Je suis rebelle, très rebelle, je viens d’un milieu extrêmement catholique. J’ai été élevée avec des grands-mères qui me lavaient sans me déshabiller. L’ambiance était excessivement bigote. Et c’est dans cette ambiance de péché que j’ai décidé de pécher. Enfant, j’étais tombée amoureuse de Jésus parce qu’on m’emmenait tous les jours à la messe de dix-sept heures. Dans l’église, nous étions quatre : le curé, sa bonne, ma tante et moi. Tout cela était absurde, tout mon entourage semblait être contre moi et contre mon désir d’être une femme. Jusqu’à ce que je me rebelle. C’est pourquoi j’ai longtemps bloqué l’ascenseur du cinquième étage pour m’habiller quand je sortais, et aussi quand je rentrais. Désormais, je suis athée, et en paix avec ma féminité. Mais je dois avouer que le film de Pupi Avati, La Casa delle finestre che ridono, me trouble encore beaucoup [La Maison aux fenêtres qui rient, long métrage sorti en 1976 – ndlr].
Comment la bande dessinée est-elle entrée dans votre vie ?
J’y suis arrivée un peu par hasard – ou par un destin étrange lié à mon patronyme : « caso Casotto », que l’on peut traduire par « hasard de Casotto ». J’étais une femme au foyer et mon mari collectionnait et lisait des bandes dessinées érotiques, un genre que je n’aimais pas particulièrement, mais j’ai toujours dessiné, surtout en m’inspirant et en reproduisant des photographies. Je me souviens encore d’un album de Franco Saudelli qui, à l’époque, m’avait fascinée, et dont l’héroïne était une blonde. Je voulais travailler, j’avais une seule expérience dans une agence d’assurances, mais je me suis tout de même décidée à envoyer des C.V., sans trop de succès. J’étais très indécise sur ce que je voulais faire, j’ai pensé m’inscrire à un cours de décoration d’intérieur puis, tout en feuilletant les pages jaunes, j’ai réalisé que cela coûtait une fortune et, au final, je suis littéralement tombée sur la Scuola del Fumetto – l’École de bande dessinée de Milan. Je savais que cette école me serait utile pour apprendre à bien dessiner le corps et l’anatomie humaine, mais je ne pensais pas que cela irait si vite. Au début de la deuxième année à la Scuola, on m’a même conseillé d’arrêter puis, de façon inattendue, on m’a orientée sur un premier job dans le domaine du dessin : comme j’étais la seule intéressée par la bande dessinée érotique, j’ai été choisie pour illustrer un jeu de cartes sexy pour les éditions Salemi [en 1991 – ndlr]. Vous connaissez le résultat. Cependant je n’ai jamais renoncé à mon intérêt pour l’architecture d’intérieur et le design, en particulier pour le modernariato [le design vintage italien des années 1950 à 1970 – ndlr], mon adresse préférée étant Spazio Fragile, à Milan, près de la Porta Romana, où quelques-unes de mes photographies encollées sur toile ont aussi été vendues.
Les femmes, vos femmes, que représentent-elles à vos yeux ?
Ce sont des femmes qui se sentent bien dans leur peau. Je ne les déforme pas beaucoup, j’aime bien qu’elles soient proches de la fameuse imagerie de la « fille d’à côté ». Elles ont de la cellulite et quelques affaissements, mais pas de faux seins et de longues jambes, étirées à l’infini. Je crois que chaque femme est belle, je suis intéressée à l’idée de la féminité en soi, voilà pourquoi je me sens plus femminilista [notion intraduisible qui se rapproche de l’idée de féminité – ndlr] que féministe !
Quelles sont vos sources d’inspiration, partez-vous de modèles ou créez-vous vos personnages à partir de votre imaginaire ?
Habituellement, je dessine les filles qui me le demandent. Elles se retrouvent incarnées dans mes personnages, mais je ne saurais dire comment et de quelle manière car au fond, je ne les connais moi-même finalement pas si bien que cela ?
Y a-t-il un modèle féminin auquel vous êtes très attachée ?
Sans hésitation, la Cocca, ex-épouse d’un ami passionné de bande dessinée. Nous nous sommes rencontrées grâce à Facebook et elle m’a tout simplement fait part de son envie de devenir un de mes personnages, pour m’inspirer telle une muse. La dessiner, la portraiturer, c’est comme réaliser un vœu que je n’avais encore jamais été en mesure d’exprimer pleinement. Car l’érotisme et la malice coulent à flot dans ses veines [la Cocca apparaît dans l’album Giovanna ! Ah !, édité en 2012 chez La Musardine – ndlr].
À propos de la Cocca, c’est bien elle que vous avez représentée en pin-up sur plusieurs casques de la marque Suomy ?
Tout a commencé par un bon mot de Carola (alias la Cocca). Un jour, elle m’a dit : « Je veux rester gravée dans la tête des gens. » Comment résister ? Et puis, la Cocca a toujours eu une passion pour la moto.
Être dessinée par une femme, dessiner des femmes : qu’est-ce que cela signifie ?
Au risque de vous paraître naïve, j’ai toujours cru à la solidarité entre femmes. Je déteste la rivalité, j’ai toujours essayé de la combattre, même si cette volonté de m’y soustraire m’a value de bien mauvaises expériences, et m’a souvent meurtrie. Je considère que la rivalité est un défi stérile, un gaspillage inutile d’énergie. Peut-être serai-je encore déçue à l’avenir mais, c’est dans ma nature, je ne peux pas me comporter autrement.
Qui écrit les textes de vos bandes dessinées ?
Mes premières histoires ont été écrites par d’autres, puis je les ai écrites moi-même avec l’aide de Lillo & Greg [un duo d’humoristes célèbres, et animateurs télévisuels depuis les années 2000 – ndlr], ainsi qu’avec Franco Saudelli. J’ai beaucoup aimé travailler avec eux parce qu’ils avaient un même esprit gai et joyeux. Vous savez, j’ai aussi reçu un très grand nombre de propositions d’histoires machistes, parfois très violentes, que j’ai refusées de dessiner, non pas parce que je suis favorable à la censure, mais parce qu’elles ne me correspondaient pas. J’ai toujours cherché à mettre en scène des sujets qui m’intéressaient d’abord et m’excitaient.
Vous vivez un métier-passion hors-norme dans un monde hautement masculin, et très sexiste : cela a dû inévitablement affecter votre vie personnelle ?
J’ai reçu énormément de critiques, surtout de la part de collègues masculins qui insinuaient même que je n’étais pas la dessinatrice de mes histoires, que quelqu’un dessinait à ma place. Mes filles en ont entendues des vertes et des pas mûres à l’école et, pour abréger leur souffrance, je me suis arrêtée de faire de la bande dessinée pendant une année, année qui a coïncidé avec la séparation de mon mari. Je me suis éloignée de la maison et j’ai recommencé une nouvelle vie. C’était une période très difficile, mais elle est désormais révolue. Et mes enfants ont depuis accepté mon travail.
La plus grande, qui est aujourd’hui enceinte, s’est portée volontaire pour que je la photographie avec son gros ventre.
Quelle est votre relation avec les médias ?
Je déteste la télé, j’ai participé à des émissions parce que mon éditeur d’alors m’y contraignait. La foule me fait peur. Si j’ai choisi de dessiner chez moi, c’est justement pour préserver mon espace personnel. Pour cette raison sans doute, j’ai très peu d’amis.
Votre style est très personnel, avec des références évidentes aux années cinquante. On pourrait presque dire que vous vous incarnez aussi dans les pin-up que vous dessinez…
Je confesse avoir une passion immodérée pour le vintage et le design de ces années-là. Depuis l’enfance, j’ai toujours été fascinée par l’art des pin-up. Dans les années 1980, personne ne s’y intéressait encore vraiment, j’allais dans les vieilles boutiques de fripes pour trouver ce que je voulais. Tout ce qui concerne cette époque me plaît, de la musique au design de mobilier. Mes idoles se nomment Bettie Page et, évidemment, Marilyn. Aujourd’hui, mon fournisseur culte est Sexsade, rue Casati, à Milan – qui vend aussi de nombreux articles burlesques. Dans mon garage, j’ai une Lambretta restaurée. J’aurais bien voulu la mettre dans mon salon mais comme, peu après son acquisition, j’ai déménagé dans une maison plus petite, je n’avais plus suffisamment de place pour elle. C’est un état d’esprit simple, qui consiste à reproduire une époque heureuse, celle de l’après-guerre. Cela me plaît de ne rien prendre trop au sérieux, de m’amuser de tout, même des choses tragiques. Je cherche toujours à voir le côté amusant… et à attiser un peu nos désirs.
Vous êtes passée du dessin à la photographie, quelles sont les raisons de cette évolution personnelle ?
L’intérêt pour le sujet représenté est pour moi primordial, quels que soient les moyens pour l’exprimer. C’est pour cette raison que je considère ce que je fais en photo comme un genre de cadeau, et cela se reflète dans mes portraits. J’aime restituer la beauté des filles que je photographie pour les rendre heureuses en premier lieu. Mes derniers travaux intègrent une composante axée sur la recherche intérieure de mes modèles, mais le plus souvent, j’aime les thèmes provocateurs, comme photographier des femmes nues, enceintes.
Quels sont vos projets?
J’ai ralenti avec ma production de bande dessinée pour me consacrer de plus en plus à la photographie sans abandonner, naturellement, l’esprit pin-up et le burlesque, auxquels j’ai consacré mes dernières publications.
[Interview de Giovanna Casotto, publiée sur le site Eyael.com,
en mai 2011, propos recueillis par Sara Rania]
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