Le Figaro a défrayé la chronique estivale en publiant une série d’entretiens avec Michel Houellebecq. Eh bien chez BD-Adultes, nous avons Giovanna Casotto ! À l’occasion de la parution de Giovannissima 3 chez Dynamite, nous avons souhaité exhumer 3 entretiens de l’artiste, personnage aussi sulfureux que mystérieux. Sa vie, son œuvre, ses premiers émois sexuels, son rapport à l’érotisme et à la pornographie : à travers ces trois interviews que nous publions sur deux semaines, vous en apprendrez davantage sur la reine des pin-ups italiennes !
————————————————
Comment avez-vous atterri dans le monde de la bande dessinée? Que faisiez-vous avant ?
J’étais simplement une femme au foyer. Puis, en regardant les magazines de bandes dessinées que mon mari collectionnait (Comic Art, Orient Express, Frigidaire, Glamour), j’ai commencé à m’y intéresser ; non pas tant pour les bandes dessinées en elles-mêmes, que pour les représentations féminines, et la façon dont les personnages étaient dessinés, parce que j’ai toujours eu la passion du dessin. Plus jeune, je me plaisais à copier des œuvres célèbres de Rembrandt, Picasso et d’autres artistes. Par-dessus tout, c’est le travail du nu qui m’intéressait. Le déclic a eu lieu quand j’ai découvert La Bionda, de Franco Saudelli [La Blonde, une série désormais rééditée en France chez Tabou – ndlr]. Là, j’ai décidé que je voulais dessiner comme lui. De fait, je me suis ensuite présentée à l’École de bande dessinée de Milan (la fameuse Scuola del Fumetto) avec un exemplaire de son livre à la main, et en leur disant : « Je veux apprendre à dessiner comme ce type ! Je veux être comme lui ! »
Parlez-nous de vos débuts artistiques.
Après trois ans passés à l’école, j’ai commencé à publier des histoires pour l’Intrepido, en compagnie de Mauro Muroni – qui m’écrira aussi plusieurs scénarios érotiques. Puis j’ai rencontré Stefano Trentini, qui éditait alors Paprika, et qui cherchait des dessinateurs capables de s’investir dans des histoires au contenu et au décor uniquement footballistiques. Comme je déteste le foot et que je n’avais jamais imaginé, ou voulu raconter des histoires sur ce sujet, j’ai refusé la proposition. Mais, quelques années plus tard, quand il a décidé de lancer la revue Selen, il s’est souvenu de moi, il m’a alors appelée et m’a demandé d’y contribuer.
Quels sont les ingrédients d’une bonne bande dessinée érotique ?
C’est un peu la honte, mais je dois préciser que je ne lis pas, ou peu, de bandes dessinées. Avant tout, je regarde ici ou là les images, un peu comme le font les enfants. Au fond, ce sont elles qui m’intéressent le plus. Quant aux ingrédients, eh bien, je pense que l’histoire est un prétexte, et je le dis aussi parce que l’espace pour développer un récit complexe n’existe pas. Ce qui importe, à mon avis, ce sont les dessins. L’érotisme que j’ai à l’esprit est fait d’attitudes et gestuelles féminines bien précises, qui sont inspirées par l’art de la pin-up des années cinquante. La femme que je représente peut ressembler à une femme-objet, et peut-être qu’elle l’est, mais elle est néanmoins consciente de l’être : elle est très ironique, elle s’amuse autant des autres que d’elle-même. J’ajoute que, chez moi, l’érotisme doit être incarné par la chair. C’est pourquoi j’utilise les nuances [de gris, et de couleurs, car plusieurs récits reproduits en noir et blanc dans la revue Selen, étaient en fait coloriés au crayon de couleur – ndlr] pour donner cet effet de chair, de corps pulpeux, et de sens en chaleur !
Vos lecteurs lisent-ils aussi ce qui est raconté ou, comme vous l’analysez si bien, sont-ils seulement impressionnés par les images ?
Dans un petit espace [comme celui du récit court auto-conclusif, format de publication de Selen – ndlr], il est impossible de raconter une histoire. L’histoire mise en scène est juste une excuse pour restituer au lecteur une situation érotique. Le lecteur favorise très certainement les images et ce qu’elles veulent transmettre comme informations.
Avez-vous déjà entrepris une histoire appartenant à un autre genre ?
Oui, j’ai déjà dessiné d’autres choses dans d’autres genres. Comme je vous le disais, j’ai dessiné des récits qui étaient non érotiques pour l’Intrepido. Par ailleurs, Sergio Bonelli m’a demandé plus d’une fois de faire du Dylan Dog [une série majeure des éditions Bonelli, mettant en scène un détective de l’occulte basé à Londres, précisément au 7 Craven Road – ndlr], mais je ne me sens pas encore prête. Et si je travaillais pour lui, je devrais abandonner mon travail de nuances et me régler au style de sa maison d’édition. Pour l’instant, envisager seulement de passer à l’encre de Chine me fait encore très peur.
Vous ne vous sentez pas prête… Est-ce pour cela que vous vous inspirez encore de photographies ?
Bien sûr que j’utilise la photo, mais je ne suis pas la seule, et beaucoup d’autres dessinateurs le font ! Si vous voulez un rendu réaliste maximum, je pense qu’il est nécessaire de l’utiliser. Dans tous les cas aussi, il va de soi que la photographie doit être transformée. Pas question, évidemment, de décalquer un sujet et hop, c’est bon… sinon tout le monde serait en mesure de dessiner. Vous devez changer, traduire le réel, selon une ligne plus sûre, plus agressive.
Dans quelques années, il sera donc possible de vous voir à l’œuvre sur une série de Bonelli ?
Je ne sais pas si ce sera sur une série « bonellienne », ou pas. Cependant, si je dois trouver une alternative à la bande dessinée érotique, j’opterai plutôt pour le style giallo, parce que les situations de suspense me plaisent et m’intriguent. Dans mes toutes dernières histoires [datant donc de la fin des années 1990, puisque l’interview a été publiée en l’an 2000 – ndlr], il y a beaucoup de personnages et de situations qui sont de l’ordre du polar, et de la noire.
Face à la présence écrasante de médias très puissants, comment pensez-vous que la bande dessinée puisse maintenir une position forte ?
Ah, si seulement je le savais ! Je devrais le savoir puisque je travaille dans le monde de la bande dessinée, mais je ne le sais pas ! Je n’ai pas regardé la télévision depuis environ cinq ans, je ne peux pas supporter d’entendre et voir ce qui sort de cette boîte. J’ai un ordinateur à la maison mais, au contraire de mes filles, je ne sais même pas comment l’allumer. Par conséquent, j’ai choisi le média de la bande dessinée pour rester en paix, être tranquille, dans mon monde, un média où aucun contact avec les autres n’est obligatoire. Ceci dit, je ne suis pas non plus une misanthrope. Mais étant entendu que la bande dessinée est une dimension de rêve, je dois me préserver un petit espace de rêve personnel. Pour ce qui concerne la comparaison avec les autres médias, je ne supporte pas qu’on puisse qualifier la bande dessinée de produit pour attardés et sous-développés. D’aucuns la définissent comme une sous-culture, mais qu’est-ce que la sous-culture ? En vérité, la culture peut aussi bien correspondre à une tasse, un escarpin que du vernis à ongles.
À propos de télévision, vous méprisez ce média mais vous y êtes allée plus d’une fois, c’est-à-dire que vous avez participé à plusieurs émissions. Quelle expérience en tirez-vous ?
Je dois commencer par avouer que je me sens très mal à l’aise face aux caméras, et face à un auditoire devant lequel je dois répondre à des questions. Je ne connais pas toutes les réponses aux questions que je pose, alors il m’est difficile, à plus forte raison, de répondre aux questions des autres. Ma tête contient seulement des questions, pas de réponses. Et puis, à la télévision, on t’interroge sur pleins de sujets qui sont hors de tes compétences. En face, le public attend quelque chose de toi, et semble toujours insatisfait. Néanmoins, il est aussi nécessaire d’y participer, ne serait-ce que pour des raisons de promotion. Mais chaque émission où j’ai été invitée a été un supplice : on t’assaille, on t’attaque, on t’accuse de faire des produits d’un goût douteux, de la pornographie, de la sous-culture, etc.
Je me souviendrai toujours d’une émission de Harem où j’étais fustigée de toutes parts. Un cauchemar ! [Harem était un talk-show italien très populaire dans les années 1990, diffusée sur la RAI 3, et animée par l’actrice Catherine Spaak – ndlr].
Avez-vous des conseils à donner à ceux qui ont l’intention de poursuivre une carrière dans la bande dessinée ?
Cela fait seulement six années que j’exerce cette activité, prodiguer des conseils me semble donc péremptoire. La suggestion que j’ai cependant envie de faire, c’est d’apprendre à distinguer le beau dessin de la bande dessinée. En bande dessinée, vous devez apprendre à sacrifier une belle image pour obtenir une meilleure fluidité, et pour améliorer la lisibilité de l’histoire. Tout le monde n’est pas capable de sacrifier cela pour construire une bonne bande dessinée. Par exemple, il m’arrive souvent de voir des bouts de dessin qui sortent de la vignette, parce que l’auteur n’a pas voulu sacrifier une partie de tête ou de bras. Mais tout ce qui n’est pas utile à la fluidité d’une bande dessinée doit être retiré, et sans regret. Il est certain que sacrifier une composition pour faire de la place à une bulle n’emballe aucun créateur de génie, mais c’est ainsi que fonctionne la bande dessinée.
Des rêves ? Des projets ?
Une histoire longue, et belle… et toujours érotique. Écrite par moi. Je l’ai en tête. Je l’avais imaginée pour un dessin animé, mais je l’ai peu à peu détournée pour la transposer en bande dessinée. Elle sera faite de malentendus… de double identité… de mystère… hum, on verra !
[Interview de Giovanna Casotto, publiée dans Ink n° 15, mai 2000,
propos recueillis par Vincenzo Raucci ; dossier constitué par Christian Marmonnier]
Entretiens, partie 2
Ping : Qui est vraiment Giovanna Casotto ? Entretiens, partie 1
Ping : Giovanna Casotto, Oh ! Giovanna ! – La Bauge littéraire